ROGER VUATAZ, COMPOSITEUR ET ORGANISTE

par Roger d’Ivernois, 20 mai 1975

 

Roger Vuataz est né en 1898. Il est compositeur et titulaire depuis cinquante années de l’orgue du Temple de Carouge. Depuis vingt-cinq ans, il fait partie du Comité du Conservatoire et est membre du comité de l’Association suisse des artistes musiciens depuis douze ans. La radio a été sa seconde vie, comme il aime à le dire. En effet, c’est en 1923, alors qu’il était hospitalisé à Paris, qu’il a eu le coup de foudre pour la radio. En 1927, il donnait son premier concert d’orgue pour cette institution alors dirigée par Félix Pommier. En 1932, il fut le premier preneur de son professionnel pour Radio-Genève et devint directeur du Service musical pour cette même institution pendant vingt ans, soit de 1943 à fin 1964.

Comment êtes-vous venu à la musique ?

C’est à l’âge de quatorze ans que j’ai décidé de faire de la musique. Je n’ai jamais regretté d’avoir embrassé cette carrière artistique malgré tous les écueils que j’ai pu rencontrer sur ma route. Comme mes parents ne voyaient pas cela d’un très bon œil, j’ai fait ma maturité en section pédagogique. Dès que j’ai eu mon « papier » en poche, ils m’ont laissé faire ce que je voulais. Je suis alors entré au Conservatoire, en classe de piano. J’ai obtenu mon diplôme avec Alexandre Mottu, en deux années. Et comme l’orgue m’intéressait – j’avais commencé à le pratiquer seul – j’ai travaillé sérieusement cet instrument avec Otto Barblan, jusqu’à la virtuosité. En parallèle à ces études instrumentales, j’ai étudié l’harmonie, le contrepoint et l’instrumentation avec différents maîtres.

Et vous en êtes venu à la composition.

La composition est à l’origine de ma formation musicale. Comme j’adorais la musique de Chopin, ma première composition a été faite sur le modèle du grand musicien polonais. Il s’agissait d’une œuvre pour violoncelle.

Votre première composition a été une œuvre pour violoncelle. Et la dernière en date, celle dont la création a eu lieu mardi dernier à Carouge, était elle aussi destinée au même instrument…

… Oui, il s’agissait des « Nocturnes I, II et III pour violoncelle solo, opus 126 ». J’ai écrit cette œuvre à l’intention de Mlle Ina Jost, violoncelliste à Hambourg, que j’avais connue pour avoir très bien compris ma « Sonate pour violoncelle », éditée il y a une quarantaine d’années. Elle a interprété ces « Nocturnes » d’une façon admirable.

Quelle est l’œuvre, écrite par vous, que vous préférez ?

C’est celle qui a été reçue sans équivoque possible autant par le public que par les musiciens qui l’ont interprétée : le « Concerto pour piano opus 112 », créé il y a une dizaine d’années et qui a été repris plusieurs fois au cours de différents concerts.

Vous avez composé de plus grandes œuvres encore.

Oui car je me suis dès le début intéressé à la musique vocale. J’ai dirigé de nombreux chœurs. C’est pourquoi j’ai écrit plusieurs œuvres importantes dans ce domaine dont trois oratorios. Mais comme il s’agit d’œuvres assez grandioses, elles n’ont pas l’occasion d’être jouées très souvent. Et puis, il faut bien le dire, s’il n’y avait pas de compositeur à Genève, les choses iraient tout aussi bien, ou tout aussi mal. Je suis assez pessimiste sur ce plan car si un compositeur ne prend pas lui-même des initiatives, s’il n’organise pas de temps à autre des concerts, personne ne parlerait de lui.

Pourtant, vous êtes un grand compositeur genevois…

Je suis un vieux compositeur, bien sûr, mais grand, je ne sais pas ce que cela veut dire ! Il y en a eu un grand, c’est Frank Martin. Il avait quitté Genève au bon moment… Il est devenu célèbre le jour où il a quitté son pays ! Quant à moi, je n’ai jamais quitté ma ville et je m’en aperçois.

A part votre activité de compositeur, vous êtes depuis cinquante ans l’organiste du Temple de Carouge. C’est un bail !

En effet, c’est un bail qui représente, pour l’organiste que je suis, ma présence à l’orgue tous les dimanches.

Quel sacrifice !

Ce n’est pas un sacrifice pour moi car j’aime cet instrument. Mais, vu sur le plan purement bourgeois ou familial, cinquante années d’orgues c’est cinquante fois cinquante-deux dimanches par an, plus les fêtes carillonnées. Adieu les sorties de famille, les courses de montagne, etc. !

En tant que compositeur, à quelle œuvre allez-vous vous attaquer maintenant ?

J’ai différents projets. Le plus important, c’est un opéra dont j’ai écrit moi-même le livret il y a une dizaine d’années. Je l’ai laissé reposer et l’ai repris dernièrement. J’espère trouver le temps de me mettre à écrire la musique avant qu’il ne soit trop tard. À part cet opéra, j’ai évidemment d’autres projets dont je ne veux rien dire pour l’instant.

Roger Vuataz, un compositeur de grand talent. Mais ce que j’ai oublié de lui dire, c’est qu’il fait « rudement bien » le café turc. Il l’apprendra en lisant ces lignes !

Roger d’Ivernois