INTERVIEW DE ROGER VUATAZ, par Pierre Meylan
Extrait de la Revue Musicale Romande, novembre 1960
- Pourriez-vous nous parler de vos études musicales et des périodes où votre activité vous a donné le plus de satisfaction et a contribué à la création de votre œuvre ?
A l’école primaire, je ne chantais pas mal, paraît-il ; mais j’ai commencé l’étude des instruments par la flûte à l’Ondine genevoise. Neveu du président, je fus honoré d’un pitoyable privilège : pas de solfège ! Désastre ! Aussitôt la flûte au bec, je n’en montais pas moins sur les planches (lisez : sur le podium du Victoria-Hall) après trois mois de leçons, lors d’un concert des « Ondins » à l’occasion des « Journées Philibert Berthelier » en décembre 1905. Double symbole : dès mes premiers pas, j’étais pris par les « ondes » bien avant qu’elles ne fussent radiophoniques et mes premières fausses notes étaient dédiées aux fêtes de ma chère cité genevoise ! A 9 ans et durant neuf années, étude plus sérieuse du piano avec une sœur de ma mère ; j’y acquis un goût véritable de la musique. Vers 14 ans, déchiffrant chez mon professeur le petit prélude en si mineur de Chopin, j’eus la révélation intérieure que « moi aussi je saurai composer de la musique ». Ces mots, je les ai entendus, comme si quelqu’un les avait dits à haute voix.
Après le Collège – enfin – travail de qualité professionnelle mais trop tardif : harmonie et contrepoint avec Delaye, piano avec Mottu, orgue et composition avec Barblan. Deux de ces maîtres n’étaient pas suspects de modernisme. Ma confiance à leur égard me faisait répéter avec eux : « Debussy… pas musical », alors que je sortais de leurs mains des diplômes plein les poches. Il fallait donc, à 23 ans, repartir à zéro. L’audition du Roi David de Honnegger à Genève, en 1924, fut ma première leçon de liberté. Ce « psaume symphonique » était encore un double symbole puisque je devais consacrer la plus grande partie de mes travaux à la musique symphonique et donner dans les Psaumes ! Entre temps les activités professionnelles faisaient bon ménage avec de nouvelles études : violon, alto, timbales, clarinettes, luth, chant, ondes Martenot, et – beaucoup plus tard – la Rythmique Jaques-Dalcroze. J’ai eu la bonne aubaine de trouver un poste d’organiste et de maître de chapelle à 18 ans. Malgré tout ce que l’orgue peut opposer d’obstacles au total épanouissement du musicien, les organistes ont cette chance unique : « vivre en contact quotidien avec l’œuvre du « cinquième évangéliste » J.-S. Bach.