ROGER VUATAZ: UN RÔLE PRIMORDIAL DANS LA MUSIQUE GENEVOISE

par Pierre Colombo, Journal de Genève, 6 août 1988

 

Roger Vuataz, qui vient de s’éteindre dans sa 91e année, dont j’ai été le collègue à la Radio, a joué un rôle très important dans la vie musicale genevoise pendant plus des deux tiers de notre 20e siècle. Doué d’une capacité de travail énorme, d’une grande volonté, il a pris part pratiquement à toutes les activités musicales de notre cité et a grandement influencé la qualité des programmes radiophoniques.

Il faut dire qu’il a eu la chance d’être responsable des émissions musicales à la Radio à une époque où l’écoute de ce média ne connaissait pas de concurrence et où la Suisse Romande ne s’exprimait à la Radio que par un seul programme partagé d’une façon géométrique roger vuataz : un rôleentre Radio-Genève et Radio-Lausanne. Ce partage créait une stimulation qui s’est révélée bénéfique pour les auditeurs et qui sur le plan musical a beaucoup contribué à l’augmentation spectaculaire du nombre des amateurs de musique dite sérieuse, augmentation dont toute notre vie musicale bénéficie aujourd’hui.

Dans ce contexte et dans cet esprit de bâtisseur, Roger Vuataz a joué un rôle primordial. On lui a parfois reproché son penchant pédagogique. Personnellement, je pense surtout que sa contribution a été bénéfique. Fidèle à ses principes rigoureux, il ne craignait jamais de prendre le contre-pied d’opinions majoritaires quand il le jugeait nécessaire.

Il est impossible en quelques lignes de donner une idée complète de ses très nombreuses compositions, plus de 500 œuvres qui touchent tous les genres, de la musique de chambre à l’opéra en passant par l’oratorio, la musique symphonique, chorale, vocale, etc. Je dirai seulement que sans jamais sacrifier au carcan de la mode sérielle absolue, qui s’est voulue la seule valable pendant longtemps, il a su, comme d’autres compositeurs, notamment dans notre ville, utiliser notre héritage tonal en arrivant même par le développement de certaines structure set leur superposition à une impression d’atonalité. Cela pour la technique. Pour l’expression, l’élan est plutôt orienté vers les masses graves et sombres que vers les lumières claires.

Parmi toutes ses activités de compositeurs et d’interprète il y en a une qui mérite particulièrement d’être relevée. Roger Vuataz a été pendant toute sa vie fortement attiré et influencé par J. S. Bach. Il en était un profond connaisseur. Il nous laisse des réalisations remarquables des œuvres théoriques du Cantor de Leipzig, par exemple de l’Offrande Musicale et de l’Art de la Fugue. Sa transcription pour orchestre de cette dernière œuvre est, de l’avis de nombreux musiciens, la meilleure qui ait été réalisée à ce jour. Le chef d’orchestre Hermann Scherchen, qui appréciait beaucoup Roger Vuataz, et qui l’avait poussé à effectuer ce travail, a dirigé très souvent l’Art de la Fugue dans cette transcription, notamment à Genève. Il en parlait avec beaucoup d’admiration.

Au moment où Roger Vuataz nous quitte, nous tenons à saluer une dernière fois ce fidèle serviteur de la musique et nous assurons sa famille de la profonde sympathie du monde musical genevois.

 

Pierre Colombo