SOUVENIRS D’ENFANCE

écrits en avril 2009 par Luc Vuataz, son fils aîné (1922-2012)

 

Introduction

Le projet initial de Luc Vuataz comprenait vingt-trois évènements où son père jouait un rôle décisif, et cela de 1924 à 1988. Certains de ces évènements faisaient une large part à la musique. Quant aux autres, leur but était de présenter ROGER VUATAZ dans ses activités non musicales.

Par manque de place, les rédacteurs ont décidé de ne présenter que six évènements où la musique était partie constitutive de l’évènement, et cela de 1924 à 1939. Au fur et à mesure de la mise à jour du site, ils intégreront les textes ou parties de texte qui complèteront ceux placés dans cette première rédaction. 

Des noms entourés de mystère

J’aimais beaucoup les repas où nous étions réunis. Papa parlait beaucoup et racontait à maman ce qui se passait à Genève. Il me semblait connaître des tas de gens et bien des noms revenaient sans cesse : Piachaud, Ansermet, Pommier, Dovaz, Cingria, Cuénod. Je me demandais ce que pouvait bien faire ce dernier dont le prénom m’intriguait (Hugues) et dont mon père avait dit une fois "Il a une belle voix de baryton, mais ils veulent en faire un ténor !".

Un trio à la maison, j’étais subjugué

Un jour, à midi, maman nous a avertis, ma sœur et moi, qu’après le souper, des amis de papa viendraient faire de la musique. Ces amis étaient Suzanne Bornand, violoniste, et Frédéric Mottier, violoncelliste, tous deux membres de l’OSR. Nous sommes, ma sœur et moi, allés nous coucher après leur arrivée. Un peu plus tard, je ne dormais pas encore et la musique a surgi. J’étais fasciné. Je me suis levé, j’ai été au salon et me suis assis sur le canapé, à côté de maman. On ne m’a pas chassé. J’étais subjugué : voir et entendre jouer trois instruments ensemble. Je ne savais pas que mon père était capable de jouer comme il le faisait. Manifestement, c’était lui le chef. Et tout cela baignait dans la lumière orange du lampadaire.

Papa-visiteur sort de sa serviette du papier à musique

Durant la période qui suivit son départ de la maison, papa-visiteur venait généralement le dimanche en fin de matinée, après avoir tenu l’orgue au temple de Carouge. Après les leçons de piano pour ma sœur et moi, nous passions à table, à la salle à manger. Les réjouissances débutaient à la fin du repas. Nous sautions sur les genoux de papa (à chacun son genou) et c’était la fête. Il est arrivé que papa reste le soir pour souper, et il se mettait au piano pour nous endormir. Un dimanche, en guise de jeu, il a sorti de sa serviette du papier-musique et a commencé à y écrire des notes. Il nous a expliqué que c’était le deuxième mouvement d’une sonatine pour piano et violon qui nous serait dédiée ; je prenais des leçons de violon depuis 2 ou 3 ans. Les mouvements 1 et 3 viendraient plus tard, quand l’inspiration le visiterait. Nous étions fascinés de le voir poser sur les portées des noires, des blanches, des croches, avec une adresse prodigieuse.

Un drôle d’appareil

Un beau dimanche, papa-visiteur arriva avec un drôle d’appareil sous le bras : c’était un poste à galène, avec casque pour l’écoute. Ce fut pour moi une révélation. Ce devait être en 1934, j’avais 12 ans et travaillais le concerto de Mozart en Sol majeur pour violon. Ce concerto fut transmis depuis le Victoria Hall et joué par une jeune violoniste prodige : Ida Haendel. Ce fut pour moi merveilleux et terrible d’entendre pour la première fois les effets magiques que l’on pouvait tirer d’un violon.

Papa carillonneur à Saint-Pierre

C’est durant cette période, si je ne fais erreur, que papa m’a donné l’occasion d’assister à une nouvelle activité qu’on lui avait confiée, celle de carillonneur de la cathédrale.

Cela consistait à s’habiller chaudement, si c’était en hiver, et à monter, dans la tour centrale de la cathédrale St Pierre, un escalier qui n’en finissait pas, pour finalement déboucher dans un local ouvert à tous les vents. Se trouvait là une espèce de table munie d’un clavier dont les touches étaient des planchettes de bois, reliées par des fils de fer aux cloches du carillon situées au-dessus de nous.

Pour carillonner, papa mettait de vieux gants, joignait les doigts et tapait sur les touches. Comme les cloches s’entendaient loin à la ronde, il fallait que tout soit parfait du premier coup !

Le metteur en ondes au Victoria Hall

Papa était tout indiqué pour assumer une charge que le développement de la Radio rendait inéluctable : la mise en ondes de la musique radiodiffusée, et plus particulièrement la retransmission des concerts donnés au Victoria Hall par l’OSR.

Le centre opérationnel de cette activité était un petit local au dernier étage de la grande salle du Victoria Hall, juste au-dessus de la scène. On y trouvait la table de travail munie de boutons et de curseurs permettant d’agir sur la qualité de la retransmission. Papa a eu l’extrême gentillesse de me proposer de l’attendre, le soir d’un concert, devant l’entrée des artistes. Il me prenait sous sa protection, il n’y a jamais eu la moindre objection à ce que je l’accompagne. Comme pour le carillon, il fallait monter un escalier mais de trois étages seulement. Et papa s’installait à sa table de travail. Comme le chef d’orchestre, il avait la partition générale sous les yeux et maniait boutons et curseurs en fonction de ce qu’il lisait. Je sortais du local et arrivais sur la galerie, il y avait toujours une place libre quelque part. C’est ainsi que j’ai assisté à la plupart des concerts.

Luc Vuataz (mars, avril 2009)